Intervention lors des débats budgétaires du 21 & 22 décembre 2020 – Débat sur le Budget 2021 de la Ville de Liège
Propos liminaire
Des conditions de travail précaires
10 jours, c’est le temps donné aux conseillers communaux pour analyser un budget d’un demi-milliard d’euros, entre l’envoi des documents budgétaires et les débats au conseil communal de ce jour. C’est évidemment bien trop peu pour pouvoir fournir un travail en profondeur et une analyse rigoureuse. Rappelons que les conseillers de la Ville de Liège ne sont pas, dans leur grande majorité, des professionnels de la politique ni des experts en Finances publiques.
Ne pourrait-on pas l’année prochaine allonger ce délai pour donner le temps aux conseillers d’étudier plus en profondeur le budget 2022 ? Ce me semble de l’ordre du possible…
Le seul point positif cette année, c’est que nous avons eu la primeur de la présentation du Budget 2020 sur la presse. C’est tout de même à saluer…
Budget Ordinaire
Rappelez-vous Madame l’échevine, l’année dernière, je m’interrogeais sur la cuisine budgétaire de la Violette. Jugeant que votre plat 2020 n’était finalement pas très différent de la cuisine de votre prédécesseur, excepté la remise à plat des règlements-taxes et votre langage de vérité, votre transparence par rapport à la situation budgétaire de la Ville. Ce qui n’était pas rien.
Ce qui me vient à m’interroger sur la réelle marge de manœuvre budgétaire de la Ville de Liège, quelle que soit l’équipe en place. On constate en effet à l’analyse des différents exercices budgétaires de ces dernières années, les contraintes multiples venant de l’extérieur, des niveaux de pouvoirs supérieurs. Il y a évidemment les cotisations de responsabilisation des pensions (c’est le gros morceau) mais pas seulement. Il y a aussi toute une série de dépenses qui s’imposent à la Ville. Il y a toutes les dépenses liées à la centralité.
Il faut avoir l’honnêteté de dire que, quelque soit l’équipe en place, quel que soit la majorité, ces contraintes seraient toujours là. Alors quand j’entends certains de mes collègues rivaliser d’imagination en matière de nouvelles dépenses tout en proposant de nouvelles réductions de recettes, je m’interroge sur leur recette magique.
Evidemment, je ne suis pas en train de singer Thatcher en sous-entendant qu’il n’y a pas d’alternative. Non non. Je pense en effet qu’une majorité avec d’autres partenaires aurait peut-être fait d’autres choix d’investissements ou augmenter le budget d’un département plutôt qu’un autre, en fonction des sensibilités politiques. Mais au final, la marge de manœuvre pour imprimer une marque politique à ce budget se résume à quelques petits millions d’euros sur 500, elle est assez faible.
On savait les finances publiques de Liège fragile. La crise sanitaire sans précédent met encore plus le budget en difficulté. Et nous sommes face à beaucoup d’inconnues. Les effets de la réforme des pensions pour le personnel auxquels viennent s’ajouter maintenant les effets de la crise Covid …Et les moyens que la Ville ne manquera pas de mettre en œuvre pour venir au secours des Liégeois les plus touchés (suppressions de taxe pour certains ou par de nouveaux moyens alloués au CPAS pour faire face à sa mission chaque jour), ce qui compliquera d’autant les prochains exercices budgétaires
De nouvelles dépenses à venir, des recettes en baisse. Pour s’en sortir, il ne faudra pas seulement trouver un accord avec les autorités supérieurs sur les pensions. Il ne faudra pas seulement attendre un éventuel refinancement des Grandes Villes, qui est par ailleurs justifié.
La Ville de Liège doit également sortir des sentiers battus, innove sur son budget :La Récupération des transferts de revenus au secteur public est à ce titre une réflexion intéressante, j’attends les résultats des négociations avec impatience. Voir ce qui pourra être récupéré parmi les réserves constitués dans certains cas, au-delà des besoins réels des entités ;
–Evaluer les principales politiques de la Ville et ne garder que celles vraiment utiles et efficaces : Répondre systématiquement à cette question : la politique menée est-elle suffisamment efficace par rapport aux montants engagés ? Sans avoir peur de réengager ailleurs si ce n’est pas le cas. Cela permettrait d’arrêter ou de réorienter plus rapidement des politiques qui ne sont pas suffisamment efficaces ou trop couteuses au regard des résultats. Hélas, la Belgique n’a pas encore cette culture de l’évaluation. Dans la situation budgétaire dans laquelle est confrontée Liège, chaque euro va compter. Il est sans doute temps de se lancer dans cette culture de l’évaluation systématique afin que chaque euro soit bien dépensé.
–Budget base- zéro : je reviens à chaque exercice budgétaire avec le Budget base zéro car il pourrait vraiment avoir une utilité pour aplanir les dépenses. Il faut absolument que celles et ceux qui ont des relais au gouvernement wallon fasse le forcing pour que la Région donne les moyens à la Ville de réaliser un budget de ce type. A défaut de retour, la Ville doit prendre ses responsabilités et engager les compétences nécessaires dans son administration. Cela ne peut-être qu’un (bon) investissement. La Ville pourrait ainsi repartir d’une feuille blanche et toutes les dépenses devront être justifiées, il faut démontrer la nécessité de celles-ci. C’est l’inverse d’un budget copier-coller où on reconduit le budget précédent avec des aménagements à la marge.
Commentaires sur certaines recettes et certaines dépenses
Additionnels à l’IPP en baisse
Au niveau des recettes du Budget ordinaire, je vais m’attarder quelques instants sur les additionnels à l’IPP, l’impôt des personnes physiques. D’après les prévisions budgétaires pour l’année 2021, les recettes de cet impôt sont une diminution de presqu’un million d’euros (47,5 M EUR au CMB 2020, 46,6 au Budget 2021). Il y a très vraisemblablement les effets du tax-shift du fédéral. Mais si les citoyens sont sans aucun doute heureux d’avoir bénéficié d’une moindre taxation, les conséquences sur les finances communales sont moins heureuses et réduit la capacité financière des communes.
Mais cela n’explique pas tout. Je pense qu’il y a aussi le phénomène d’exode des classes moyennes vers la périphérie, qui explique la diminution de ces rentrées fiscales qui en réalité devraient augmenter vu notamment les nouveaux logements créés. La classe moyenne semble continuer de quitter Liège pour la périphérie. L’exode urbain semble être toujours en cours. Les chiffres de population le montrent également, la population de Liège diminue (de 100 habitants) alors qu’elle augmente partout ailleurs en Belgique et dans la province de Liège. Cela ne m’étonnerait pas vraiment, je croise souvent des Liégeois songeant sérieusement à quitter la ville, fuyant l’insécurité, la malpropreté, le bruit, l’absence d’espaces verts dans certains quartiers, la pression automobile… Pour inverser la tendance, il faut améliorer la qualité de vie en Ville. Beaucoup a déjà été fait. Le Liège de 2020 n’est plus le Liège d’il y a 30 ans. Il faut selon moi accentuer cela, garder la classe moyenne à Liège, c’est aussi une partie de la solution point de vue budgétaire.
Les perspectives sont, à ce niveau, mauvaises, on peut évidemment suggérer que les recettes de l’IPP risquent de diminuer encore dans les prochaines années, conséquence des répercussions économiques de la crise sanitaire.
- Précompte immobilier et la problématique de l’actualisation de l’assiette cadastrale
C’est une problématique fédérale, lanon-révision des revenus cadastraux depuis 1976 mais la Ville pourrait contribuer à faire bouger la situation. Il y a, à Liège, des milliers de logements qui sont renseignés comme « sans confort », c’est-à-dire qu’ils n’auraient ni salle de bain ni chauffage au sens du revenu cadastral. Ce qui est évidemment peu probable, des transformations ayant eu lieu entre temps dans la plupart d’entre eux. Cette situation doit donc être adaptée. C’est un travail qui doit être fait avec le SPF Finances mais la Ville doit en faire la demande. Evidemment, une telle opération pourrait rapporter à la Ville un bon million d’euros selon des estimations. M. Firket avait lancé une opération similaire mais il y avait eu quelques régularisations. Le problème reste donc entier.
Un endettement qui augmente à cause des cotisations pensions
Conséquence de l’absence de solutions pour faire face aux cotisations de responsabilisation, les emprunts CRAC se succèdent et entrainent des charges d’emprunts qui augmentent.
Les chiffres sont effrayants :
-Cotisations de responsabilisation des pensions : 48.904,612 EUR (76 986,132 en 2025 !!!)
-Dépenses de dette : compte 2019 37,6 M EUR ; CMB 2020 39,6 M EUR ; Budget 20201 :42,9 M EUR
Une situation que la Ville ne peut porter seule, c’est un avis que je partage avec la Majorité. Sinon, cette charge finira par casser la capacité d’investissement de la Ville.
Une solution structurelle régionale et/ou fédérale s’impose ! Une aide extérieure doit compléter les efforts qui seront consentis par la majorité. Mme Defraigne, vous dites régulièrement que Liège devra faire sa part de l’effort, c’est logique. Et j’espère que 2021 sera l’année charnière pour une solution. Sans solution, et pour reprendre ma métaphore de l’année passée, cela risque de devenir « Cauchemar en cuisine » à la Violette.
Maintien des dotations aux 3 grandes institutions culturelles
Je me réjouis maintien des dotations des 3 grandes institutions culturelles : l’Opéra royal de Wallonie (428 000 euros, le Théatre de Liège (263 000euros) et l’Orchestre Philarmonique (795 000 euros). J’espère vivement qu’il en sera de même dans les budgets 2020 et suivants.
Il faut sanctuariser la culture. Ces trois institutions sont les porte-drapeaux de Liège à l’international, il faut les préserver. Des économies ont déjà été faites sur ces postes par le passé. Récidiver risquerait de nuire à la qualité du travail de ces institutions.
Budget Extraordinaire
On peut évidemment se réjouir que le budget qui, en termes d’investissements, gonfle de plus de 13 millions d’euros – de 56,5 à 69,5 millions d’euros – par rapport à l’année dernière. Je m’interroge cependant sur la valeur réelle des chiffres du budget extraordinaire, quand on voit que certains projets qui ont déjà été budgétés plusieurs fois ces dernières années.
Participation citoyenne
J’ai remarqué que la dénomination « budget participatif » n’était plus utilisé dans la communication de la Ville, qui parle de participation citoyenne. On voit que c’est surtout le recyclage de vieilles initiatives (le parc de Palmolive par exemple, qu’on retrouve à nouveau dans ce budget…). Cette technique avait d’ailleurs déjà été utilisée lors de l’opération « Réinventons Liège » qui, sous couvert de participation citoyenne, reprenait des vieilles idées de la majorité.
Je ne peux que conseiller à la Majorité d’aller voir ce qui se fait à Gand, où ils ont mis en place de vrais budgets participatifs digne de ce nom.
- Mobilité
En matière de mobilité, on voit qu’il y a la volonté de poursuivre des investissements pour le vélo. Les sommes prévues ne sont pas folles mais elles ont le mérite d’exister. On retrouve l’acquisition d’un bâtiment pour y réaliser un parking vélos sécurisé rue de l’Université (qui était initialement annoncé pour cette année), 350.000 euros. L’installation de box vélos (200.000 euros) et la poursuite du programme « Vélo Cité » (90.000 euros) avec l’acquisition de vélos, notamment électriques, à mettre en location. Le chemin est néanmoins encore long pour faire de Liège une Cité accueillante pour les cyclistes….
Etude « centralité »
Je tiens à saluer les 20.000 euros destinés à une étude sur la centralité, en partenariat avec Charleroi. La Ville de Liège supporte en effet un certain nombre de coût « supracommunaux » du fait de sa centralité. Les écoles, les institutions importantes, les administrations, etc. Il est temps que la Région wallonne prenne davantage en compte la réalité des grandes villes. Une étude peut contribuer à relancer ce débat.
Abstention au Budget Ville de Liège
Je justifie cette abstention sur le fait que, comme les précédents exercices budgétaires de cette mandature, il y a des mesures qui vont clairement dans le bons sens, par le fait que la réalité budgétaire est compliquée. Mais je trouve que ce budget n’est pas assez innovant (je pense au budget base zéro qui serait un bel exercice de repartir d’une page blanche et de devoir justifier toutes les dépenses.) Je trouve aussi que ce budget manque de mesures, de solutions structurelles, on verra ce qu’il en sera dans le Plan de Gestion actualisé de l’année prochaine. Ce sera peut-être le moment de vérité de la mandature.
François Pottié, conseiller communal de la Ville de Liège
Dans la presse
La DH Liège : https://www.dhnet.be/regions/liege/110-habitants-en-moins-significatif-5fe2274a7b50a652f7060176
La Libre Belgique : https://www.lalibre.be/regions/liege/110-habitants-en-moins-a-liege-significatif-oui-estime-l-opposition-5fe2f211d8ad5844d1d672fb